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Covid-19: faute de bars-restaurants, les brasseries artisanales souffrent

4 min de lecture
Cuves et installations dans une brasserie (fabrique de bières)

La mise à l’arrêt du circuit CHR, en raison de la lutte contre le coronavirus, a engendré une dégringolade des commandes enregistrées par les brasseries artisanales.

Les annonces successives, samedi 14 mars, de la fermeture des commerces « non essentiels » puis, deux jours plus tard, du confinement dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, n’ont pas épargné les fournisseurs. « Nous n’avons quasiment plus de clients », constate Jean-François Drouin, président du Syndicat national des brasseurs indépendants (plus de 500 adhérents) et dirigeant des Brasseurs de Lorraine, à Pont-à-Mousson. Sans bars ni restaurants ouverts, sans marchés (qui sont ouverts uniquement par exceptions locales) et avec des cavistes fonctionnant au ralenti, les débouchés des brasseurs sont réduits à la portion congrue. « J’ai mis mon commercial au chômage partiel », illustre Jean-François Drouin.

Arrêter de produire, ou continuer

Dans le 11ème arrondissement de Paris, la brasserie BapBap a stoppé sa production « pour des raisons sanitaires et économiques ». « Nous avons aussi une pensée pour nos partenaires, confrères brasseurs et entrepreneurs qui se démènent pour passer au mieux ces épreuves », indique l’équipe, dont une partie est à l’arrêt et l’autre en télétravail. Les épiceries, commerces de bouche ou restaurants en livraison sont encore livrés. Les frais de port ont été abaissés au maximum (offerts à partir de 12 bouteilles à Paris) pour les particuliers. Chaque bouteille est désinfectée individuellement, tandis que les opérateurs sont équipés de masques et de gants.

A Vaux-sur-Lunain (Seine-et-Marne), l’équipe de Crazy Hops a elle aussi mis en sommeil sa production. Elle garde activement le lien avec ses clients et sa communauté grâce aux réseaux sociaux, et monte en direction de la capitale chaque samedi pour assurer un service de livraison hebdomadaire à Paris et dans les villes limitrophes. Sans bars ni festivals, qui représentent un marché non-négligeable au printemps, « 98% des clients sont fermés ». Le conditionnement s’effectuera en temps voulu.

A contrario, à Chambretaud (Vendée), la brasserie Mélusine, dix-neuf ans d’expérience au compteur, poursuit sa production. Les cafés-hôtels-restaurants représentent la moitié de son chiffre d’affaires. Les quelques commandes qui arrivent sont servies, le reste des volumes étant stocké. L’entreprise s’apprête à renforcer ses capacités – ses cuves supplémentaires seront bien installées. Pour les brasseries à l’arrêt, « il faut passer de temps en temps vérifier si le groupe froid fonctionne. Nous avons des adhérents qui continuent de produire, dans l’attente du redémarrage, en espérant une belle reprise », indique Jean-François Drouin.

Le redémarrage, déjà une priorité

Le circuit CHR n’est pas le seul concerné par les restrictions actuelles. Sur les marchés encore en activité jusqu’au dernier coup de vis, « les brasseurs étaient considérés, par endroits, comme des commerçants qui ne sont pas essentiels, même si la loi nous autorise à être présents », rapporte Jean-François Drouin. Les cavistes peuvent rester ouverts mais, faute de clients, la plupart d’entre eux ont temporairement baissé le rideau. Dans la grande distribution, « en tant qu’indépendants, nous ne sommes pas forcément prioritaires », poursuit le responsable, qui espère que la situation s’améliorera dans les prochaines semaines. L’objectif des commerçants, pour l’heure, est d’avoir moins de monde dans leurs locaux – dont les fournisseurs.

L’après-crise est déjà au cœur des préoccupations des brasseurs. « Il faut être en état économique de redémarrer, c’est le plus important », martèle Jean-François Drouin. Son syndicat a mis en place une adresse mail dédiée, ouverte à tous. Prêts garantis par l’Etat, chômage partiel, fonds de solidarité et aide exceptionnelle pour les indépendants : les dispositifs, nombreux, doivent être explicités. Les droits indirects devront être acquittés quoi qu’il en soit. En revanche, un éventuel report de paiement des droits d’accises pourra être accordé.

Les craintes se focalisent notamment sur l’état de la trésorerie des entreprises, mais aussi sur le parc de clients au redémarrage, le secteur CHR affichant déjà l’un des plus forts taux de défaillance. Seul point rassurant : « l’export tient encore », estime Jean-François Drouin.

« Un risque financier pour tout le secteur »

Depuis sa brasserie (7000 hl par an) de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Demory Paris est aux premières loges des difficultés actuelles : ses clients sont quasi-exclusivement des cafés-hôtels-restaurants parisiens. L’entreprise exploite également deux bars, dans le 1er et le 9ème arrondissement de Paris. Kai Lorch, cofondateur, nous en dit plus.

Comment se portent vos clients ?

Nos clients étaient déjà gravement touchés par les grèves. Cela avait affecté leur trésorerie (et la nôtre aussi en conséquence), déjà basse. C’est difficile d’ouvrir un bar et d’en vivre bien. Il y a beaucoup de charges, de risques et de coûts par rapport à l’investissement (le bail, les crédits, l’électricité, etc.) Leurs propriétaires sont des gens courageux de se lancer dans l’entrepreneuriat. Nous avons essayé de les aider au maximum, surtout en leur accordant des délais de paiement bien plus longs. L’entraide, c’est important.

Continuez-vous à produire ?

Actuellement, nos clients sont fermés. Demory et la plupart des autres brasseries artisanales n’ont aucun chiffre d’affaires. Malheureusement, on n’arrête pas une brasserie du jour au lendemain. Il y a de la bière dans les cuves qu’il faut surveiller, des brassins à terminer, etc. Il y a aussi tout le stock, et des bières plus fragiles que les autres.

Quels sont les impacts financiers ?

Contrairement à des bars par exemple, qui vendent une bière et qui encaissent tout de suite puis paient la TVA à la fin du mois sur ce qu’ils ont vendu et encaissé avant ; les producteurs payent leur TVA normalement avant d’avoir reçu le paiement des clients (car paiement sur facture). Cela impactera la trésorerie. Nos clients ne nous règleront aucune facture pendant les mois prochains, mais nous avons déjà dû avancer l’argent de la TVA.  Même chose pour la matière première, qui est déjà payée. Les produits finaux sont déjà partis, mais pas encore réglés par les clients. Si nous clients faisaient faillite, nous serions donc également très exposés à un risque financier.

Photo : PublicDomainPictures de Pixabay

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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