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« Le renouveau du cocktail tient à une meilleure expérience client »

5 min de lecture
Cocktail - Expérimental Cocktail Club

Le cocktail connaît un fort regain d’intérêt. Derrière ce renouveau se cache une expérience client réinventée: service, ingrédients, concepts. Décryptage avec le consultant Fernando Castellon.

Consultant international dans les métiers du bar, des cocktails et des spiritueux, Fernando Castellon a effectué des voyages d’étude dans plus de 40 pays. Il a commencé à travailler dans l’univers du bar au milieu des années 1990; au moment du renouveau du cocktail à Londres. Il accompagne les professionnels de la restauration, ainsi que les écoles hôtelières. Il organise depuis 13 ans les Trophées du Bar, un concours-métier indépendant. Il décrypte, pour Business & Marchés, les enjeux de la nouvelle scène cocktail – qui n’est pas seulement parisienne.

Quelles tendances fortes avez-vous constaté ces dernières années dans l’univers du bar?

Fernando Castellon — Les tendances peuvent être recensées à plusieurs niveaux. En France, on les constate sur deux canaux : du côté des consommateurs, la consommation de cocktails se développe fortement tant en soirée, qu’au moment de l’apéritif, avec des recettes simples dans l’esprit du Spritz, ou du Gin Tonic. Du côté des professionnels, on entre dans une phase dans laquelle, au-delà d’un bon cocktail, on va essayer de renforcer l’expérience client en apportant plus de contexte ou une histoire au cocktail avec, d’une part, un rituel de service, comme un récipient ou un ustensile qui pourra complexifier l’élaboration du cocktail. D’autre part, des ingrédients atypiques, comme un ingrédient obscur inconnu, ou réhabilité astucieusement. Enfin, des accessoires, comme un verre ou un contenant qui sublime ou qui surprend le consommateur (pour le service du cocktail au client). À l’international, les tendances s’initient surtout dans les marchés matures comme les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Comment expliquez-vous le fort engouement actuel pour les cocktails?

Il était attendu depuis plus d’une dizaine d’années. Bien que Paris ait déjà été l’une des capitales mondiales du cocktail pendant les années 1920 et 1930, comme nous le prouvent plusieurs ouvrages dont Les Cocktails de Paris, publié en 1929, et grâce à la multitude des produits de première qualité, fabriqués avec le savoir-faire français, en passant par le cognac, le champagne, les liqueurs et les apéritifs historiques qui étaient connus et appréciés dans le monde entier. Le renouveau du cocktail a commencé à l’étranger au milieu des années 1990 à New York et Londres, il s’est implanté doucement en France à partir de 2002, quand on a pu voir réapparaître le mot « cocktail » sur les devantures des brasseries-cafés-lounges sans le mot « glacier » à côté… Car auparavant, le cocktail était toujours présent en France, mais réservé aux initiés qui se rendaient dans les palaces pour les apprécier.

« Des professionnels aguerris qui défendent leur approche créative »

Quelles initiatives ont réveillé la scène cocktail française?

C’est en 2006 à Lyon avec le Soda Bar, suivi en 2007 à Paris de l’Experimental Cocktail Club, qu’un public branché, qui ne fréquentait pas les bars d’hôtels, a pu retrouver ou découvrir les cocktails élaborés avec de bons produits et en phase avec les codes internationaux, pour enfin sortir du stéréotype du cocktail à l’époque : long-drink fruité-sucré, avec son morceau de fruit plus ou moins imposant en décoration. C’est juste une évolution logique avec des Français qui voyagent de plus en plus vers des destinations comme Londres et New York, où l’on consomme principalement des cocktails dès l’apéritif et jusqu’au bout de la nuit. Renforcé par une visibilité des cocktails dans des séries phares comme « Sex in the City » et « Mad Men » entre autres… Il y a une évolution des comportements, on mange de plus en plus à l’extérieur de chez soi, et quitte à boire moins, autant découvrir de nouvelles sensations, ou obtenir son cocktail préféré.

Les bars à cocktails se multiplient: ne risque-t-on pas d’arriver à saturation?

De nombreux bars ouvrent leurs portes certes, mais ce qui a surtout changé, c’est que ceux qui les ouvrent sont des professionnels aguerris, et comme les chefs, ils sont là pour défendre leur style et leur approche créative. La multiplication confirme cette tendance de consommation pour les clients, et ce regain d’intérêt pour les investisseurs. Toutefois, pour un excellent bar à cocktail qui ouvre, il y en a toujours plusieurs qui se lancent sur le même créneau, mais sans passion et souvent sans un minimum de qualité au rendez-vous. Donc nous sommes loin d’arriver à saturation avec de très bons et excellents bars à cocktails sur Paris, et en province, il reste de nombreuses villes à développer. Par contre, plus il y en aura, et plus les clients auront le choix pour aller soit dans leur quartier pour passer un moment dans « leur » bar de prédilection, soit dans le quartier où ils ont planifié leur sortie avec des amis, où ils vont plutôt faire plusieurs établissements pendant la soirée.

« Vers des cocktails faciles à boire, mais élaborés »

Comment percevez-vous les prochaines tendances dans l’univers du bar?

Il y a un fort engouement pour des « drinks » faciles, c’est à dire des cocktails faciles à boire, sophistiqués visuellement et avec une complexité aromatique. Un simple « Gin Tonic » peut être basique et terre à terre comme dans les années 1980, comme il peut se révéler d’une grande complexité si on choisit un gin de qualité, avec un profil gustatif adapté aux attentes (frais, floral, herbacé…), avec l’un des cinq tonic Fever-Tree par exemple, avec de gros glaçons pleins pour être servi bien glacé, comme en Espagne. Le Spritz a permis de réintroduire le goût de l’amertume, qui permet d’évoluer vers des boissons ayant plus de longueur en bouche.

On tend aussi vers davantage de personnalisation…

Il est vrai que la tendance des produits de terroirs, comme nous en avons tant en France se popularise beaucoup. Les sirops maison deviennent également de plus en plus créatifs et qui permettent d’ajouter aux cocktails une note aromatique unique. Le travail sur les ingrédients maison est de plus en plus plébiscité par les professionnels, et cela ouvre réellement de nouveaux univers.

« La formation initiale doit évoluer »

La formation initiale vous semble-t-elle adaptée à ces évolutions, ou est-ce préférable de privilégier les initiatives de terrain?

Fernando Castellon — Ce sont deux choses très différentes, pour des publics différents. La formation initiale s’adresse à des personnes qui sont en général déjà dans les études de l’hôtellerie, et la seule qui existe est une Mention Complémentaire Bar, dispensée en lycée hôtelier ou en Greta. Il s’agit d’un programme sur une année, qui pourrait largement être revu, car les référentiels datent et ont été au départ orientés pour le travail en hôtel, qui n’est pas le pôle actuel qui recrute le plus (un peu comme les formations en sommellerie qui sont destinées aux restaurants gastronomiques). Dans le programme de formation initiale actuel, il manque une meilleure connaissance du goût car il s’agit avant tout d’un métier de bouche, et pas uniquement un métier de préparation et d’envoi ; ainsi qu’une meilleure connaissance des facteurs qui impactent la qualité d’un cocktail (sourcing ingrédients, choix des ustensiles, techniques de préparation, dilution de la glace…)

Qu’en est-il de la formation in situ?

Les initiatives de terrain sont complémentaires aux jeunes professionnels issus d’une formation dans l’hôtellerie, et indispensables aux autodidactes qui ont besoin de se constituer un socle de connaissances. Je pense que toutes les initiatives effectuées par les maisons de spiritueux sont bénéfiques, ensuite cela dépend du ton qui est donné sur la manière de faire découvrir la marque ou les marques concernées, la qualité pédagogique des supports, et des intervenants et essentielle et trop peu souvent bien maîtrisée. Les maisons de spiritueux ont un rôle clé pour accompagner la profession. On peut féliciter, à ce titre, le groupe Pernod-Ricard qui a lancé le programme «  Maison », une formation diplômante qui aborde au-delà de ses marques, la catégorie de spiritueux concernée, ainsi que plusieurs modules sur la mixologie.

Photo: Experimental Cocktail Club

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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