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“Les bars ont des charges trop élevées, et il faut rendre accessible la culture liquide”

4 min de lecture
Cocktail Negroni Old fashioned et glaçons sur un bar

Avec Eric Fossard, Thierry Daniel parcourt habituellement le monde pour prendre le pouls de l’univers des bars et des spiritueux. Leur agence Liquid Liquid propose des prestations de consulting et organise chaque année en janvier la Paris Cocktail Week, à destination du grand public ainsi qu’au début de l’été, Cocktails Spirits, l’un des salons les plus influents à destination des professionnels. Celui-ci sera reporté à l’automne. Focus sur l’état du secteur et les pistes en vue de la reprise.

Quel est l’état actuel de votre activité ? 

Thierry Daniel — Nos activités ne reprendront pas avant septembre. Nous pourrons relancer en premier lieu nos sessions Cocktails Spirits on the road, un format de conférences et de masterclass itinérantes à destination des bartenders. Pour le salon, où nous attendions 8000 personnes, ce sera plus difficile – les gens se rencontrent, échangent, dégustent… Tout l’événementiel est dans l’attente d’une amélioration de la situation. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ce sera difficile. Nous sommes en lien avec beaucoup d’établissements et avec nos partenaires. Nous travaillons sur des projets pour la fin 2020 et pour 2021.

Dans quelles conditions certains bars et restaurants ont-ils rouvert en Asie ? 

En Asie, il n’y a que 20% à 30% de clients dans les bars ou restaurants qui sont ouverts. Les bars sont des lieux avec de la convivialité, de l’échange, de l’ambiance… Il y a davantage de clients le midi que le soir.

“La crise éclaire les faiblesses du système”

En France, faut-il pousser pour une reprise rapide ? 

En France, certains établissements voudraient rouvrir rapidement. Nous avons la chance d’avoir une couverture sociale. Dans beaucoup de pays, ce système d’amortisseurs est très rare. Si on rouvre trop tôt, le chômage partiel s’arrête; les entrepreneurs pourraient ensuite devoir licencier. Les bars à cocktails, plutôt fermés, fonctionnent très bien l’hiver. Sans solution à moyen terme, ce sera compliqué pour beaucoup d’entre eux. Peut-être passeront-ils l’orage, mais dans six mois ou un an, s’ils ont toujours peu de clients, ils éprouveront des difficultés. Jusqu’alors, même dans les périodes difficiles, les bars les mieux placés dans Paris avaient réussi à s’en sortir – avec la réduction quasi-totale du tourisme, ce sera compliqué. Cette crise ne doit pas être accompagnée sur plusieurs semaines, mais sur plusieurs mois. Il faut faire attention à ce qu’on ne perde pas non plus notre savoir-faire dans les spiritueux, la gastronomie, le cocktail…

Quelles sont les freins au développement viable du secteur ? 

La crise du coronavirus permet d’éclairer les faiblesses de notre système. Des loyers très élevés, ainsi qu’un recul des capacités financières affaiblissent le business model des bars. Les loyers sont très chers et sont trop élevés pour ce type d’activités. Les charges sont très fortes. Depuis plusieurs années, il y a par ailleurs eu un appauvrissement du pouvoir d’achat des consommateurs. Au moindre grain de sable dans l’économie (« gilets jaunes », pandémie…), les établissements éprouvent des difficultés. Le prix des cocktails doit baisser, mais il faut faire du volume, ce qui sera extrêmement difficile. Dans les bars et les restaurants, les marges sont très faibles. 

Selon vous, pourquoi les bars ont-ils peu de visibilité depuis le début de la crise ? 

Le secteur est très très compartimenté : ceux qui ont l’écoute des pouvoirs publics sont des grands chefs, par exemple. Très peu de personnes qui défendent la profession d’un point de vue global. Les recommandations faites au pouvoir politique proviennent davantage de la cuisine que de la salle. Le monde du bar doit être représenté, et même l’hospitalité dans son ensemble. la sommellerie, les bartenders, la salle… doivent être impliqués. Comment repenser demain tout l’univers de l’hospitalité ? Le personnel de salle connaît les comportements des clients. Il faudra absolument que le monde du bar soit mieux représenté, et que l’univers de l’hospitalité ait une vraie vision jusqu’au début de l’année prochaine au moins.

Comment comptez-vous les accompagner?

Nous avons une communauté qui nous suit. Nous avons beaucoup aimé l’initiative du Paris beer club, par exemple. Nous lancerons une carte, sur le modèle de la Paris Cocktail Week, recensant les initiatives prises par les bars. Financièrement, ce ne sont pas les cocktails à emporter qui permettront de couvrir tous les frais, mais ils permettennt de garder un lien avec la communauté. Il faut pouvoir communiquer auprès d’un large bassin de consommateurs (plus de 60 000 personnes suivent la Paris Cocktail Week) et la presse.

“L’éducation des consommateurs est un enjeu majeur”

L’essor du cocktail ces dernières années est-il réel ou s’agit-il d’un effet de loupe ? 

La culture cocktail a énormément progressé en dix ans. De 2008 à 2012, lors des premières années de notre salon, elle n’était pas présente. Aujourd’hui, le cocktail est devenu populaire – tout le monde connaît l’Aperol Spritz, par exemple. Les bars ont permis de démocratiser l’offre. Maintenant, il faudra que les consommateurs puissent réaliser des cocktails chez eux ou en acheter (comme le font le Mabel ou le Calbar à Paris, l’Heure du singe à Toulouse…), mais il faut trouver les clients. De plus, la traçabilité, la réglementation… doivent être respectés. Nous en sommes au tout début du « do it yourself » et de la vente à emporter. Ce serait génial qu’une épicerie de qualité puisse vendre les cocktails d’un bar de leur quartier !

Les marques ont-elles davantage de place à prendre ? 

Les marques ont beaucoup communiqué sur le on-trade, mais peu en off-trade. En grandes surfaces, on vend des bouteilles, mais pas d’expériences de consommation. Les vraies clefs sont dans l’éducation, la prescription, la formation. Il faut aller jusqu’au bout de la démarche, avec le consommateur, afin qu’il puisse comprendre et s’éduquer sur la culture cocktail. J’espère que les marques auront une prise de parole pour le grand public. Souvent, on veut parler aux consommateurs de la même manière qu’aux professionnels. Des produits trop spécifiques, des techniques complexes… perdent le consommateur. Il faut rendre accessible la culture liquide. Le professionnel a toujours des possibilités ou des alternatives s’il manque un ingrédient, par exemple. Il y a un vrai besoin d’accompagnement. Cette année encore, les masterclasses de la Paris Cocktail Week étaient pleines ! Le « hometail », le cocktail à domicile, va aussi se développer. Il faut rendre accessible notre culture. Par ailleurs, le sans-alcool est clef dans le monde du bar. Il permet de communiquer et de mettre en avant son savoir-faire.

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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