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Comment la presse a appréhendé le lancement des quotidiens gratuits

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Huit ans après le lancement des éditions françaises de Metro et de 20 Minutes, les moyens mis en œuvre par les acteurs existants apparaissent particulièrement timides.

Délicat en raison de la spécificité de cette industrie – amplitude horaire large, coûts fixes importants, subventionnement sous conditions – le secteur de la presse quotidienne n’en demeure pas moins attractif pour le prestige qu’il continue à susciter (notamment parmi les propriétaires de titres), ainsi que par son audience qui reste malgré tout relativement conséquente, ce qui en fait un des premiers supports publicitaires en France. La quotidienneté des parutions permet une réactivité appréciée en termes d’achat d’espace, tandis que chaque titre vise un lectorat particulièrement bien défini.

Ce sont ces atouts qui ont contribué au développement de la presse gratuite d’information, dont l’introduction en France, en 2002, a suscité de nombreuses réactions d’hostilité avant de voir certains des acteurs déjà en place prendre leur part du gâteau. Un parallèle peut s’établir avec la question des sites internet d’information sur ce point: comment conquérir de nouveaux lecteurs sans affaiblir son produit phare ?

Metro ou l’analyse de son lectorat

Lancé en janvier 1995 en Suède, à Stockholm pour sa première édition, le quotidien gratuit Metro ne devait pas, au stade de son développement, adopter ce modèle économique jusqu’alors réservé à la presse d’annonces. Son contenu éditorial a permis d’amener la question de son coût : il s’agissait, à l’opposé de l’offre existante, de proposer un résumé de l’actualité court et facile d’accès.

Des contraintes propres à un public urbain, lequel emprunte massivement les transports en commun pour se rendre au travail… Le lieu de distribution était déterminé, le modèle économique aussi (la publicité, un modèle importé de la radio ou de la télévision): faire payer le titre serait revenu à se priver de la cible recherchée, à savoir celle qui se détourne des quotidiens classiques. Un ciblage très précis de l’audience a donc été engagé.

Metro International, holding regroupant l’ensemble des filiales éditrices, fait office de 69 éditions distribuées chaque jour dans 21 pays. 21,4 millions de lecteurs lisent chaque jour le quotidien gratuit. 66% d’entre eux ont entre 18 et 40 ans, un lectorat plus jeune que celui des quotidiens traditionnels. 74% travaillent – source de pouvoir d’achat, essentiel pour les annonceurs -, et 48% étudient à l’université, ce qui en fait le titre comptant le plus de jeunes lecteurs dans le monde.

Ces paramètres, essentiels sur le plan publicitaire, permettent une prise en compte de l’enjeu, pour la presse quotidienne d’information, de procéder à un ajustement de son offre afin de séduire des lecteurs qui jusqu’alors lisaient peu ou prou de journaux… et de renforcer sa spécificité. Payer pour avoir accès à un journal doit se justifier, l’information « brute » sans analyses ni commentaires, ayant pour objet de relater les faits passés, étant disponible sans coût pour le lecteur dans les grandes villes.

Si les jeunes sont peu réceptifs aux journaux, « c’est d’abord par manque de temps, ensuite parce qu’ils préfèrent dépenser leur argent dans les nouvelles technologies, et enfin, parce qu’ils considèrent que l’information ne se paye pas : elle est déjà abondante, gratuite à la télé, à la radio, ou sur le Net », expliquait en 2006 au Nouvel Observateur Pelle Tornberg, fondateur et président du groupe Kinnevik, leader des médias télévisuels en Suède. Tout comme l’édition d’un site internet, la presse gratuite permet donc de rajeunir et d’élargir le lectorat de la presse ; le risque étant un détournement du support originel, à savoir le quotidien payant. Des expériences de mid-price, proposant un contenu à mi-chemin entre celui des quotidiens gratuits et celui des titres dits « de qualité », ont connu un succès mitigé.

En France, une réponse tardive

Impuissants et crédules: les adjectifs ne manquent pas pour qualifier l’attitude de nombreux professionnels de la presse quotidienne lors de l’arrivée en France, début 2002, de Metro et de 20 Minutes (détenu par Schibsted, un groupe norvégien et Ouest-France, par le biais des filiales Spir Communication et SofiOuest). En l’espace de quelques années, ils se sont hissés – 20 Minutes en premier – en tête des journaux les plus lus dans l’Hexagone, quand bien même leur réseau de distribution se limite à une poignée de grandes villes.

Comme au sein des pays dans lesquels ils ont essaimé précédemment, les deux titres ont joué les trublions en élargissant certes le bassin de lecteurs de presse quotidienne, mais en favorisant une logique d’exclusivité plus inquiétante pour les entreprises déjà établies: à titre d’exemple, 74% des lecteurs de 20 Minutes, qui en rassemble chaque jour 2.675.000, ne lisent aucun titre de presse quotidienne nationale. A l’instar du problème ici étudié, à savoir l’impact des sites internet d’information et leur modèle économique, se pose donc la question de la stratégie adoptée par les acteurs historique du marché de la PQN.

Face à ce risque d’hémorragie, c’est une riposte organisée qui a eu lieu en France: de nombreux titres de presse quotidienne régionale se sont associés pour harmoniser leurs initiatives locales, lancées dans la précipitation: Marseille Plus (La Provence), Lille Plus (La Voix du Nord)… Afin d’offrir une proposition claire aux annonceurs, c’est un véritable réseau qui a été tissé en 2004, permettant l’émergence d’une marque forte tirant sa légitimité d’entreprises référentes sur leur région et en matière de presse écrite. Quelques semaines après le lancement, seuls 2.000 lecteurs avaient officiellement déserté La Provence, un moindre mal en regard des 200.000 lecteurs acquis à la cause de Marseille Plus.

En 2006, une tête de pont parisienne, détenue à 70% par Bolloré Médias (Direct 8, Direct Soir) et à 30% par le groupe Le Monde a permis de compléter l’ensemble: Direct matin plus. Cette pièce manquante à l’élaboration d’une offre défensive et de conquête, par la même occasion, de nouveaux lecteurs, a permis de finaliser une proposition commerciale harmonisée.

Le contenu proposé et les moyens engagés se différencient cependant des quotidiens payants, les pages locales étant réduites à la portion congrue pour favoriser les pages nationales, sportives et culturelles, déclinables sur plusieurs éditions.

Preuve que la bataille n’est pas prête d’être terminée, 20 Minutes vient d’inaugurer son édition niçoise. Metro y est déjà implanté. De nouvelles éditions dont la distribution sera, au fil des semaines, affinée.

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A propos de l'auteur
Journaliste dans la presse professionnelle, j'édite Business & Marchés à titre personnel depuis 2007.
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